mercredi, octobre 29, 2008

 

Pourquoi Reporters sans frontières n’adopte pas le Code de conduite des entreprises du secteur de l’Internet, par Francis Chartrand


Pourquoi Reporters sans frontières n’adopte pas le Code de conduite sur la responsabilité des entreprises du secteur de l’Internet qui travaillent dans les pays répressifs?

Après deux ans de discussions, Reporters sans frontières a décidé de ne pas signer le code de conduite sur la responsabilité des entreprises du secteur de l’Internet qui travaillent dans les pays répressifs. Cependant, l’organisation se réjouit de son adoption par certaines entreprises et salue le travail important qu’ont fourni les participants dans l’élaboration de ces principes, qui rassemblent entreprises, ONG, chercheurs et investisseurs.

Selon l’organisation, les principes de ce code de conduite ne garantissent pas une protection suffisante de la liberté d’expression sur Internet, même s’ils sont un premier pas important dans la prise de conscience de la responsabilité qu’ont les entreprises dans l’exercice de la censure à l’étranger.

“C’est parce que Yahoo ! a obéi aux lois locales en fournissant les coordonnées personnelles du journaliste Shi Tao que ce dernier a été condamné à dix ans de prison. Malgré ces nouveaux principes, un cas similaire peut se produire”, a déclaré Reporters sans frontières.

Shi Tao, journaliste du quotidien Dangdai Shang Bao (Les Nouvelles du commerce contemporain), a été condamné à dix ans de prison, le 30 avril 2005, pour avoir envoyé un document officiel sur le massacre de la place Tiananmen de juin 1989 à un responsable d’un site Internet dissident basé à l’étranger. Les données fournies au gouvernement chinois par l’entreprise américaine Yahoo ! avaient permis son arrestation.

“Nous suivrons de près l’application de ces principes et avons fait savoir aux participants que nous étions prêts à intervenir sur certaines questions si notre expertise peut être d’une quelconque utilité. Voilà plusieurs années que nous surveillons avec attention la libre circulation de l’information sur Internet et nous continuerons à dénoncer ce qui lui fait obstacle”, a ajouté Reporters sans frontières.

“Nous pensons que le meilleur moyen de garantir la liberté d’expression sur le Web dans les pays répressifs est de donner la possibilité aux entreprises qui s’y implantent de ne pas se rendre complices des autorités locales. Pour cela, elles doivent jouir d’un cadre légal - comme le prévoit le Global Online Freedom Act (GOFA) pour les entreprises américaines - afin de résister aux requêtes des gouvernements qui violent les accords internationaux concernant la liberté d’expression”, a poursuivi Reporters sans frontières.

L’organisation est préoccupée par certains points de ces principes, qui peuvent se révéler dommageables pour la liberté d’expression. Reporters sans frontières regrette notamment que les questions relatives à une évaluation externe du respect de ces principes n’aient pas trouvé une réponse satisfaisante.

Les principaux points de préoccupation :

1- Les lois locales restent les lois référentes même si elles violent les standards internationaux sur les droits de l’homme. De ce fait, les entreprises peuvent se rendre complices de la censure sur Internet exercées par certains pays qui disposent de multiples lois pour réduire les dissidents au silence.

2- Les entreprises peuvent difficilement mettre les gouvernements à l’épreuve quand ces derniers leur demandent de communiquer les données personnelles de leurs clients. Les gouvernements n’ont pas l’obligation de motiver leurs requêtes par écrit.

3- Les entreprises peuvent conclure des partenariats (joint ventures, fusions, etc) avec des partenaires locaux qui ne respectent pas ces principes. De ce fait, elles peuvent déroger au code de conduite en rejetant la responsabilité de la censure sur des filiales locales, comme Yahoo ! l’avait fait avec Alibaba, son partenaire chinois.


4- Les clients n’ont aucune garantie que les entreprises tenteront de réduire le stockage de données et ne savent pas combien de temps elles peuvent garder leurs données confidentielles pour les diffuser si besoin est.

5- L’indépendance et l’impartialité des experts chargés de veiller au respect de ces principes ne sont pas assurées.

Reporters sans frontières soutient le GOFA depuis son introduction par le député américain Christopher Smith en février 2006. Ce texte encadre l’activité des entreprises américaines du secteur de l’Internet qui passent des accords avec les régimes répressifs et leur donne des alternatives juridiques pour ne pas devenir les complices de gouvernements répressifs à l’encontre de la liberté d’expression.

Selon le GOFA, chaque requête formulée à une entreprise américaine serait soumise au gouvernement américain pour empêcher les gouvernements autoritaires - qui emprisonnent des dissidents et des défenseurs des droits de l’homme - d’accéder aux données personnelles de leurs clients.

Les entreprises américaines devraient également faire preuve de transparence et transmettre les informations sur le filtrage éventuel qu’elles appliquent à un Observatoire de la liberté d’expression sur Internet, chargé de définir la stratégie du gouvernement américain dans la promotion de la liberté de circulation de l’information sur Internet et d’en répertorier les violations.

Le GOFA a été approuvé par le Comité des affaires étrangères en octobre 2007 et attend maintenant le vote de la Chambre des représentants américains.

En juillet 2008, le député européen Jules Maaten s’est inspiré du projet du GOFA pour présenter un projet de directive à l’Union européenne afin de prévenir la collaboration des entreprises du secteur de l’Internet avec les gouvernements répressifs.

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Dans le monde de l’après-11 septembre, seule la paix protège les libertés, par Anne Humphreys


Ce n’est pas la prospérité économique, mais la paix qui garantit la liberté de la presse. Tel est l’enseignement principal du classement mondial de la liberté de la presse, établi comme chaque année par Reporters sans frontières, et dont l’édition 2008 est rendue publique le 22 octobre. L’autre conclusion tirée de cette liste, où l’on trouve une nouvelle fois en dernière place le "trio infernal" Turkménistan (171e), Corée du Nord (172e), Erythrée (173e), est que le comportement de la communauté internationale envers des régimes autoritaires comme Cuba (169e) ou la Chine (167e) n’est pas assez efficace pour donner des résultats.

"Le monde de l’après-11 septembre est désormais clairement dessiné. Les grandes démocraties sont déstabilisées et placées sur la défensive, grignotant peu à peu l’espace des libertés. Les dictatures les plus puissantes économiquement revendiquent leur autoritarisme avec arrogance, profitant des divisions de la communauté internationale et des ravages des guerres menées au nom de la lutte contre le terrorisme. Les tabous religieux ou politiques s’imposent chaque année davantage à des pays qui avançaient auparavant sur la voie de la liberté", a déclaré Reporters sans frontières.

"Dans ce contexte, le musellement général à l’oeuvre dans les pays fermés au monde, dirigés par les pires prédateurs de la liberté de la presse, continue dans une absolue impunité, à mesure que les organisations internationales, comme l’ONU, perdent toute autorité sur leurs membres. Cette dérive mondiale donne d’autant plus de relief aux petits pays économiquement faibles, qui garantissent malgré tout à leur population le droit de n’être pas du même avis que le gouvernement et de le dire publiquement", a ajouté l’organisation.

Guerre et paix

La liste établie pour la période allant du 1er septembre 2007 au 1er septembre 2008 met non seulement en évidence la place prééminente occupée par les pays européens (les 20 premières places sont tenues par les pays de l’espace européen, à l’exception de la Nouvelle-Zélande et du Canada), mais également la position très honorable de certains pays d’Amérique centrale et des Caraïbes. En effet, en 21e et 22e positions, la Jamaïque et le Costa Rica côtoient la Hongrie (23e), à quelques positions devant le Surinam (26e) ou Trinidad et Tobago (27e). Ces petits pays caribéens se classent même bien mieux que la France (35e), qui recule encore cette année en perdant quatre places, ou que l’Espagne (36e) et l’Italie (44e), deux pays toujours plombés par la violence mafieuse ou politique. Selon les critères retenus pour ce classement, il ne manque qu’un point à la Namibie (23e), un grand pays pacifié d’Afrique australe, qui se classe cette année en tête des pays africains devant le Ghana (31e), pour entrer dans le peloton des vingt pays les mieux classés.

Le point commun des pays du peloton de tête, aux disparités économiques immenses (le ratio entre le PIB par habitant de l’Islande et celui de la Jamaïque est de 1 à 10), est d’être gouvernés par un système démocratique parlementaire. Et, surtout, de n’être pas engagés dans une guerre.
Or, tel n’est pas le cas pour les Etats-Unis (36e sur le territoire américain, 119e hors territoire américain), Israël (46e sur le territoire israélien, 149e hors territoire israélien), où, pour la première fois depuis 2003, un journaliste palestinien a été tué par des tirs de l’armée. La reprise de la lutte armée a affecté également la Géorgie (120e) ou le Niger, qui chute lourdement (de la 95e place en 2007 à la 130e en 2008). Ces pays, pourtant dotés d’un système politique démocratique, sont engagés dans des conflits de "basse" ou de "haute intensité". Ils ont, de ce fait, exposé au danger des combats, ou livré à la répression, les proies faciles que sont les journalistes. La récente libération provisoire de Moussa Kaka, correspondant de RFI et de Reporters sans frontières à Niamey, après 384 jours de prison, ou de Sami Al-Haj, libéré de l’enfer de Guantanamo après six ans de détention, est venu rappeler que les guerres broient les vies mais aussi, le plus souvent, les libertés.


Sous le feu de belligérants ou d’un Etat omniprésent

Faute d’avoir apporté une solution à leurs graves problèmes politiques, les pays engagés dans des conflits d’une grande violence, comme l’Irak (158e), le Pakistan (152e), l’Afghanistan (156e) ou la Somalie (153e), restent des "zones noires" de la presse. Assassinats, kidnappings, arrestations arbitraires et menaces de mort sont le lot quotidien de journalistes qui, en plus d’être pris sous le feu des belligérants, sont souvent accusés d’être partisans. Toutes les excuses sont bonnes pour se débarrasser des "gêneurs" ou des "espions", comme cela a été le cas dans les Territoires palestiniens (163e), notamment à Gaza, où la situation s’est nettement détériorée avec la prise du pouvoir par le Hamas. Dans le même temps, au Sri Lanka (165e), où le gouvernement est pourtant élu, la presse est confrontée à une violence trop souvent organisée par l’Etat.

Pour l’essentiel, les pays qui ferment la marche sont des dictatures plus ou moins déguisées, où des dissidents ou des journalistes réformateurs parviennent à fissurer le carcan dans lequel on les contraint à vivre. L’année olympique en Chine (167e) a, certes, été celle de l’incarcération de Hu Jia et de nombreux autres dissidents ou journalistes, mais également l’occasion de donner quelques arguments supplémentaires à ces médias libéraux qui s’efforcent, peu à peu, de s’affranchir du contrôle policier imposé aux citoyens de la nouvelle puissance asiatique. Etre journaliste à Pékin ou à Shangai, mais aussi en Iran (166e), en Ouzbékistan (162e) ou au Zimbabwe (151e), reste un exercice à hauts risques, source de nombreuses frustrations et d’un harcèlement judiciaire permanent. Depuis de nombreuses années, dans cette Birmanie (170e) que dirige une junte xénophobe et inflexible, les journalistes et intellectuels, même étrangers, sont vus comme des ennemis de la junte au pouvoir, et en payent le prix.

Les "enfers immobiles"

Dans la Tunisie de Zine el-Abidine Ben Ali (143e), la Libye de Mouammar Kadhafi (160e), le Bélarus d’Alexandre Loukachenko (154e), la Syrie de Bachar el-Assad (159e) ou la Guinée équatoriale de Teodoro Obiang Nguema (156e), l’omniprésence du portrait du chef de l’Etat dans les rues et à la une des journaux devrait suffire à convaincre les sceptiques sur l’absence de liberté de la presse. D’autres dictatures ne pratiquent pas le culte de la personnalité, mais l’étouffoir reste le même. Ainsi, au Laos (164e) ou en Arabie saoudite (161e), rien n’est possible, si ce n’est dans la ligne des autorités.

Enfin, la Corée du Nord et le Turkménistan restent ces "enfers immobiles" où la population est maintenue coupée du monde, sous le poids d’une propagande d’un autre âge. Tandis qu’en Erythrée (173e), qui ferme la marche pour la deuxième année consécutive, le président Issaias Afeworki et son petit clan de nationalistes paranoïaques continuent de gérer le plus jeune pays d’Afrique comme un immense bagne à ciel ouvert.

La communauté internationale, notamment l’Union européenne, répète à l’envi que la seule solution reste "le dialogue". Mais sans grand succès, manifestement, tant que les gouvernements les plus autoritaires pourront toujours ignorer les récriminations, sans risquer autre chose que le mécontentement sans conséquences de quelques diplomates.

Dangers de la corruption et des haines politiques

L’autre maladie qui ronge les démocraties et leur fait perdre du terrain dans ce classement est la corruption. Le mauvais exemple de la Bulgarie (59e), toujours lanterne rouge de l’Europe, rappelle que le suffrage universel, le pluralisme des médias et quelques garanties constitutionnelles ne sont pas des critères suffisants pour parler valablement de liberté de la presse. Encore faut-il que le climat soit favorable à la circulation de l’information et à l’expression des opinions. Les tensions sociales et politiques au Pérou (108e) ou au Kenya (97e), la politisation des médias, comme à Madagascar (94e) ou en Bolivie (115e), ou encore les violences dont sont victimes les journalistes d’investigation au Brésil (82e), sont l’illustration de ce poison qui gangrène les démocraties émergentes. Et le fait que ceux qui , dans une totale impunité, enfreignent la loi pour s’enrichir, et punissent les journalistes "trop curieux", est un fléau qui maintient plusieurs "grands pays" à des positions honteuses (le Nigeria est 131e, le Mexique, 140e, l’Inde 118e).

Et puis certains de ces prétendus "grands pays" se comportent délibérément de manière brutale, injuste ou simplement inquiétante. A l’instar du Venezuela (113e), où la personnalité et les oukazes du président Hugo Chavez sont parfois écrasants, la Russie du duo Poutine-Medvedev (141e) exige un contrôle strict des médias publics et d’opposition. Comme Anna Politkovskaïa, chaque année des journalistes tombent sous les balles "d’inconnus" souvent proches des services de sécurité dirigés par le Kremlin.

Résistance des tabous

Dans le "ventre mou" du classement se trouvent également des pays hésitant entre répression et libéralisation, où les tabous restent inviolables. Ainsi, au Gabon (110e), au Cameroun (129e), au Maroc (122e), à Oman (123e), au Cambodge (126e), en Jordanie (128e) ou en Malaisie (132e), par exemple, évoquer la personne présidentielle ou royale, son entourage et ses éventuelles turpitudes sont des interdits absolus. Des législations liberticides au Sénégal (86e) ou en Algérie (121e) envoient régulièrement des journalistes en prison, en violation des standards démocratiques prônés par l’ONU.

La répression de l’Internet est également l’un des révélateurs de ces tabous tenaces. En Egypte (146e), des manifestations initiées sur Internet ont agité la capitale et inquiété le gouvernement, qui considère aujourd’hui chaque internaute comme un danger potentiel pour le pays. L’usage du filtrage est chaque année plus important et les Etats les plus répressifs n’hésitent pas à emprisonner les blogueurs. Si la Chine reste première au palmarès des "trous noirs du Web", déployant des moyens techniques considérables pour contrôler les internautes, la Syrie (159e) est devenue championne régionale de la cyber-répression. La surveillance y est tellement poussée qu’après la moindre publication critique, l’arrestation n’est qu’une question de temps.

Seuls quelques rares pays ont connu des avancées. Ainsi le Liban (66e) retrouve-t-il une place logique après la fin des attentats ayant visé des journalistes influents ces dernières années, tandis qu’Haïti (73e) poursuit sa lente remontée, de même que l’Argentine (68e) et les Maldives (104e). En revanche, la transition démocratique en Mauritanie (105e) s’est enrayée, empêchant le pays de poursuivre sa progression. Tandis qu’au Tchad (133e) et au Soudan (135e), les maigres acquis de ces dernières années ont été balayés par l’instauration, du jour au lendemain, de la censure.

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